34.
— La lumière est allumée dans la salle du haut. Il doit être là !
Dans la voiture, Ari avait expliqué aux deux gendarmes que tout ceci était en rapport avec l’affaire du « trépaneur ». Ils savaient à quoi s’en tenir.
Le gradé frappa à la porte du restaurant, mais Ari n’attendit pas de réponse. À la seconde même où il avait aperçu la lumière dans le bâtiment, son instinct lui disait qu’il était déjà trop tard. Il tenta d’abaisser la poignée, mais elle résista.
— Aidez-moi, chuchota-t-il avant de donner un premier coup de pied au niveau de la serrure.
L’un des deux gendarmes l’imita, et à deux ils parvinrent, après plusieurs essais, à enfoncer la large porte.
Ari entra le premier. L’arme serrée entre les mains, tenue canon vers le sol au bout des deux bras presque tendus, il avança à pas rapides mais assurés, effectuant des pauses à intervalles irréguliers. Sans même vérifier que les deux gendarmes le suivaient, il s’engouffra dans l’escalier et monta prudemment les marches, le dos collé au mur, le regard à l’affût du moindre mouvement, de la plus petite ombre vacillante. Cette fois, il en était certain, il se passait quelque chose ici.
Arrivé en haut des marches, il se plaqua contre la cloison qui séparait le palier de la grande pièce éclairée. Il inspira profondément, puis il jeta un coup d’œil à l’intérieur avant de reprendre aussitôt position.
Il ne s’était malheureusement pas trompé. Ils étaient encore arrivés trop tard. Au beau milieu de la pièce, ligoté sur une table, il avait aperçu le corps d’un homme nu, en train de se vider de sa propre cervelle par un orifice percé à la base du crâne.
— On a un cadavre ici ! cria-t-il à l’attention des deux gendarmes.
— La porte de la terrasse est ouverte. Elle a été forcée ! répliqua l’un d’eux.
— Vérifiez toutes les pièces du rez-de-chaussée, ordonna Ari, certain toutefois que le meurtrier, ou plus probablement la meurtrière, s’était déjà enfui.
De son côté, il fit le tour de la grande salle et, sans baisser la garde, analysa méthodiquement la scène.
Il reconnut l’odeur d’acide et de détergent qu’il avait respirée pour la première fois dans l’appartement de Paul Cazo. Il ne visualisa aucune trace de lutte et les vêtements de l’homme étaient soigneusement posés sur une chaise. Soit la victime s’était déshabillée sous la menace d’une arme, soit elle l’avait fait d’elle-même. Peut-être la meurtrière usait-elle de ses charmes pour amadouer ses proies. Les analyses diraient sans doute s’il y avait eu rapport sexuel. Le commissaire de Reims n’avait rien mentionné à ce sujet concernant les trois précédents meurtres, mais la nudité de toutes les victimes permettait en tout cas d’envisager cette hypothèse.
La position du corps, l’emplacement des liens, le trou percé dans l’os pariétal, tout correspondait aux autres homicides. Le crâne, toutefois, n’était pas entièrement vide : la cervelle était visiblement encore en cours de liquéfaction. Ce qui signifiait que la meurtrière n’avait pas achevé le rituel qu’elle avait pratiqué sur ses trois autres victimes. Peut-être l’avaient-ils interrompue. Auquel cas elle ne devait pas être loin…
— Rien à signaler en bas ! s’exclama un gendarme.
Ari embrassa une dernière fois la pièce du regard puis descendit rapidement l’escalier.
Il traversa la grande pièce du bas et se rendit sur la terrasse. La porte avait été enfoncée. La meurtrière s’était enfuie de ce côté-là, sans doute en entendant arriver la voiture des gendarmes. Elle pouvait se cacher dans le jardin du restaurant.
À moitié courbé, il rejoignit rapidement la haie qui longeait la terrasse pour rester dans l’ombre. Pas à pas, il avança vers le fond du jardin. Son cœur battait à tout rompre. Il était bien trop exposé. À tout moment, la femme pouvait surgir et l’abattre. Mais il n’avait pas le choix.
Arrivé au milieu du jardin, il s’agenouilla et posa un regard circulaire sur toute la zone. Il cherchait une silhouette de trop, mais n’en trouva aucune. Une main frôlant l’herbe pour garder l’équilibre, il se remit en mouvement. Il vit alors une ombre vaciller derrière une branche. Il s’immobilisa, mais comprit vite que ce n’était qu’un oiseau ou un petit animal effrayé. Il avança encore et atteignit le fond du jardin. Une porte en fer forgé était grande ouverte.
Ari sortit sur le trottoir et examina les deux côtés de la rue. Personne. Au hasard, il courut vers la droite jusqu’à la prochaine intersection. Les rues étaient plongées dans le noir. Désertes. Il revint sur ses pas et partit inspecter les rues de l’autre côté. Toujours rien.
La mâchoire serrée, il rejoignit les deux gendarmes dans la maison.
De là où il était, il ne put ni voir ni entendre la longue berline marron qui démarra deux rues plus bas et quitta la ville phares éteints.
— Nous sommes arrivés quelques minutes trop tard, lâcha Mackenzie en rangeant son revolver sous son manteau. Vous pouvez appeler votre état-major… Dites-leur de prévenir le procureur de Chartres. Et dites-leur aussi de faire quadriller le secteur. On recherche une femme qui n’est pas de la région. Elle ne doit pas être bien loin. Je parierais qu’elle était encore là il y a un quart d’heure.
L’un des deux gendarmes se dirigea vers sa voiture pour passer le message radio.
Ari, dépité, se laissa tomber dans un fauteuil. Non seulement il n’avait pu empêcher ce quatrième meurtre, mais il allait devoir expliquer au procureur la raison de sa présence sur les lieux. Quant à Depierre, il risquait de se montrer beaucoup moins compréhensif, cette fois-ci…